Je n'ai pas tenu le choc. J'ai craqué le dernier jour. Au petit déjeuner, devant "les autres" ! Mon ennui que je tenais en laisse depuis le début a subitement bondi de derrière mes sourires forcés, mes paroles de gentillesse et de politesse. Comment font donc ces gens ? Je ne sais si je les méprise ou si je les envie. Je voudrais pouvoir les ignorer. D'où sourd cette énergie dévastatrice des larmes tandis que je bâillonne de justesse révolte et sarcasmes : je hais ces grosses charretées moutonnières de touristes entassés dans les cars, bouffant du paysage parmi les rires et les grosses blagues, l'ambiance surchauffée des repas gorgés de vins et de victuailles. Les Hourra pour le cuisinier, pour le chauffeur, pour le gentil accompagnateur ! Les fronts luisent parmi les claquements d'assiette et le tourbillon des serveuses. Les conversations ronflent : le vin, les sauces, les enfants, les maladies, le temps qu'il fait, se font un chemin cent fois recommencé pour habiller de vains bruits, ces jours de fête. Battez tambours ! Résonnez trompettes !
Je reviens avec mon âme toute bosselée et décolorée. Suis-je seulement fragile, insuffisante, capable seulement de regarder le monde se défaire autour de moi, au bord de mon trou, solitaire comme un grillon qui voit mourir l'été.
Comment faire ?
Cent fois je recommence : est-ce ma faute ? Est-ce la leur ? Ni l'un ni l'autre je le sais bien. Mais à la charnière est P. P que je ne peux pas laisser avec eux et qui n'est pas avec moi. Comment entre nous deux tirer le trait de douce tolérance ?
J'ai trop besoin d'une épaule. Semblable à la mienne. Complice.
J'aimerais encore quelques petites choses, une amitié sans rupture, sans secousse, une fleur, un arbre, un meuble poli, une naissance qui dépende de moi ; la courbe d'un chemin à parfaire. Dormir quand j'ai sommeil. Me lever avec le soleil. Des livres selon mon cœur. De la musique à petites gorgées. Des promenades à petites foulées. Si possible une parole amie. Et puis tout le reste, ce que j'ai cru savoir, ce que j'ai voulu pouvoir, toutes les routes de l'Asie, tous les sentiers de l'Histoire couchés très loin dans ma mémoire, sans regret, qu'une légère nostalgie. La mer sans les bateaux et le ciel aux oiseaux.
"Et le grand chirurgien devait s'avouer qu'il se serait aussi bien contenté d'être mineur comme son grand-père polonais ".
La colline des solitudes.
Pierre Jakez Helias.
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3 commentaires:
Qui est ce Pierre Jakiez Hélias ? Un Grèc apparemment ? Je trouve qu'il écrit comme tu sais si bien le faire...
A tout bientôt, garde-toi bien du soleil trop chaud.
Un petit aperçu trouvé sur le web à propos de
"Pierre-Jakez Hélias, en breton Per-Jakez Helias, à l'état-civil Pierre Hélias, (1914 - 13 août 1995) était un écrivain, poète, folkloriste, collecteur de contes en breton, homme de théâtre et de radio, en langues bretonne et française. Son ouvrage le plus célèbre est Le Cheval d'orgueil qui sera adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1980."
...De mes lectures même s'il fut un temps où je prenais des notes il ne me reste souvent qu'un fragment, une phrase qui a fait tilt et j'oubie le reste et à plus forte raison maintenent que ma méroire est en retraite!!
merci d'avoir trouvé quelque choe de gentil à dire à ma satire des voyages organisés!
Bonjour Micheline.
J'ai beaucoup aimé ce texte fort bien écrit, belle critique de ces hordes de touristes qui passent, tels des météores bruyants, sans véritable contact avec les paysages traversés et moins encore avec les êtres qui y vivent ; au retour ils s'enorgueillisent d'avoir tout " fait ", leurs supposées aventures prennent l'allure de campagnes guerrières ...
Ils ont surtout contribué à la dégradation tant morale que physique des contrées traversées ...
Ils ne sauront jamais rien du bonheur d'une nuit passée sous les étoiles, du réveil des oiseaux dans l'enchantement d'un petit matin frais, des mille et un bruits de la forêt au crépuscule, de tous ces petits riens qui ne coûtent rien et qui apportent tant de joies.
Je te souhaite un bel été.
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