9 juin 93.(écrit il y a 20 ans et toujours vrai)
Oui, ce sont bien les plus beaux jours de l’année, tout suffocants de parfums, de senteurs avec leur charge de vie passée, celle des commencements surtout, pure et intacte, emmitouflée, protégée à travers les années, embaumée. Pierre dit : le tilleul , c’est le Certificat d’études. Oui, ce jour du Certificat où, pour le récompenser de son exploit, sa mère lui avait mis sur les genoux des branches de tilleul à cueillir, alors qu’il rêvait de liberté !
Le troène aussi est tout en fleur, son amertume ressuscite en moi le petit creux au ventre des fins d’années scolaires . C’est l’odeur des examens toute chargée d’angoisse sous-jacente, de liberté anticipée, quand ce serait fini et que de toute façon, ce serait les vacances !
Je n’ose pas trop redire le parfum des fraises des bois. Celui-là, j’ai toujours peur qu’il ne s'évente. Il n’a qu’un sens, qu’un lieu, qu’un coin de monde intact : la sente dans le pré, le grillage à droite, le frais de la terre du jardin de ma grand-mère. Il a traversé mes soixante dix ans d’âge, il est là dans mon univers, heureux, pimpant, fier comme un roi de ma mémoire, tracé, imprimé, rangé, intact.
trouvé aussi dans mes archives
L'odeur de la soupe qui cuit,
Du pain frais au soupirail de la boulangerie
Où s’agglutinèrent des effarés*
De celui qui cuit parfois par mes mains, enfourné.
L’odeur de la terre assoiffée par la pluie abreuvée
De l’herbe fraîchement coupée,
Du foin à me vautrer dedans
De la rose et du lilas
Le muguet ? chargé du souvenir d’un lourd passé
Et la fraise ?
La fraise des bois ?
C’est tout un jardin que je revois.
Permanent et pur comme un bonheur d’enfant
Une maison moussue dans un vert pâturage
Cela m’aura suffit pour aimer tous les fruits,
Le lait mousseux qui tombe dans le seau,
Et la paille arrosée par une urine fraîche,
Le fromage qui fermente sur son paillon doré.
Mais les temps ont passé, l’odeur de nos cuisines a bel et bien muté
C’est un autre plaisir qu’il nous faut respirer.
La vapeur qui s’étouffe soulevant la pastille de mon autocuiseur
Malmenant les légumes nouveau-nés.
Celle du café quand les autres le font dans leurs cuisines amies
L’odeur de la tarte qui gonfle doucement dans le four électrique
Un ennemi me suis fait de l’huile de friture, des graisses qui grésillent au rouge des fourneaux
Point de frites chez moi.
Rien d’autre alors?oh si, mais plus secret sans doute
Plus mélangé de liens associés
Le papier d’Arménie en son brûle parfum…s’élevant en volutes au doux chant d’un violon qui se plaint.
La lavande en son sachet de toile par ma fille enfermée
Pour venir témoigner au linge de l’armoire que des liens sont tissés.
Et le savon à barbe échappé sous la porte délivrant le message
Que quelqu’un vit là, à quelques pas de moi
L’odeur de cigarette quand mon fils est passé
Avec tout son fardeau de choses arrêtées
Et plus secret encore ett même oserai-je dire ?
L’odeur au creux du lit de mes jeunes années
Celle de ma petite culotte que j’aime à respirer
Avant de la mettre au panier.
Les odeurs vivantes sont des colliers sur nos vêtements d’hiver.
Et quand les portes sont fermées. Près de la cheminée
L’étincelle exténue nos rêves de fumées.