Témoignage du passé

Nous venons de recevoir une lettre envoyée par ma belle mère en 1940, à une personne de son village évacuée en Dordogne. le fils de cette personne l'ayant retrouvée dans les papiers de sa mère nous l'a fait parvenir. C'est évidemment une émotion pour nous et en même temps un petit aperçu d'un moment inoubliable pour ceux qui ont vécu cette tragédie. Pierre, mon mari et moi avions alors 20 ans.
j'ai recopié cette lettre , petit fragment témoignage d'un passé déjà si loin et si proche de nos soucis d'aujourd'hui qui m'ont inspiré aussi le petit billet précédent.

Lettre:

Dammartin sur Tigeaux
Le 11 juillet 1940

Chère Madame D...
Je veux vous envoyer quelques nouvelles pour vous rassurer sur votre maison et vous demander un peu de vos nouvelles aussi
Vous savez que Dammartin a été envahi le 14 juin par l’armée allemande en route sur paris où elle arriva le 15. chez nous ( à Dammartin) l’armée n’a fait que passer, passant une ou deux nuits au plus mais ouvrant à peu près toutes les portes pour se restaurer, se laver, changer de linge et coucher dans tous les lits. Ce faut le sort de la poste, tous les tiroirs ouverts et retournés, toutes les portes ouvertes et le linge des armoires étalé partout, les caves vidées ainsi que les armoires à provisions. Par une chance énorme votre maison ainsi que celle de Mr M... n’ont pas été ouvertes. Toutes vos affaires étaient donc en place et en ordre quand nous sommes rentrés le 23 juin après une absence de 10 jours. Le 25 juin un ordre arrivait à la Mairie de dénombrer les lits de la commune pour le logement d’une colonne allemande de 250 hommes à loger dans les lits. Les quelques portes restées fermées ou n’ayant pu être défoncées au premier passage furent ouvertes par Mr S..., tous les lits inoccupés devant être dénombrés. Monsieur L.. était réquisitionné pour assister le Maire. Songeant que cette 2ème occupation allait détruire ce qu’il y avait chez vous j’ai pris la liberté d’apporter à la poste le contenu de vos armoires à linge pour vous sauvegarder autant que possible ce qui va coûter tellement cher à remplacer. Pour la vaisselle et le ménage ce sera à la grâce de Dieu car nous ne pouvons rien. Il paraît que ces soldats arriveront ce soir ou demain. Ce matin la gare nous a signalé qu’elle avait deux sacs expédiés par vous et revenus à l’envoyeur, mon mari les a pris pour qu’ils ne soient pas en souffrance et eux aussi sont à la maison.
Nous espérons que vous avez pu parvenir chez votre sœur, devançant l’armée, et que vous êtes en bonne santé. Avez-vous pu prendre Bernard à Pittsburg, et savez-vous ce qui devait être fait des enfants restant à l’école là et à Champagne. Nous sommes sans nouvelles de Jean depuis les premiers jours de juin, le temps semble bien long !- des habitants de Dammartin sont passés à Champagne pendant leur terrible exode, les écoles étaient vides et servaient pour le logement des errants.- Quel terrible cauchemar !.. De toute la vie cela ne pourra être oublié et il y a des familles qui ont laissé des leurs sur le bord de la route, tués par les bombes d’avions. C’est affolant.
De Pierre, nous n’avons non plus aucune nouvelles, l’inquiétude règne en maîtresse et comme il n’y a pas de journaux et pas de lumière donc pas de TSF nous ne savons même pas ce qui se passe en France et ailleurs.-
Espérant que vous voudrez bien nous mettre un petit mot je vous adresse nos bonnes amitiés ainsi que notre meilleur souvenir.
G. L.
Donnez-nous aussi des nouvelles de Gilbert si vous en avez. Il paraît qu’il y a à Meaux 20 000 soldats français prisonniers.