20.6.05

notes sur coralline

"Autant que je puisse en juger" a dit un comment. remarque prudente et pour cause! ce n'est pas la première fois qu'on me demande d'une façon plus abrupte ce que cela veut dire et j'ai bien conscience que ce texte baroque est plein de distorsions dans le temps, dans l'espace, de symboles obscurs et pourtant oui j'y tiens , il a été écrit d'un seul jet - ou presque- et je ne peux plus y toucher car il résume pour moi un moment de crise, un tournant peut-être dans ma conscience de mère.

Alors, et je m'en excuse, j'ai essayé après coup , de comprendre moi aussi ce que j'ai voulu dire, ,je suis passée de l'autre côté de la barrière pour voir ce que le prof aurait pu dire.

Cela a donné ceci:Notes sur « Coralline »

Tout au long du texte se côtoient, s’allient ou se confrontent deux personnages principaux : une mère et un enfant, dans deux univers : un univers visible, familial et social, un univers secret, intime.
Toute la tension dramatique repose sur les conflits ou les alliances possibles entre le réel et l’imaginaire.
L’atmosphère du début est plutôt légère et harmonieuse : « On respire bien » ; à la fin elle s’épaissit, toute chargée d’inconnu et de mort. L’éternel élan de la vie vers un meilleur, un idéal, débouche sur le grand mystère du monde et l’impuissance de la condition humaine.

On peut distinguer 3 parties
Première partie : du début à « Pour l’instant » ( 5 paragraphes)
Deuxième partie : jusqu’à : « Elle rencontre le monsieur noir »
(6 paragraphes.)
Troisième partie : jusqu’à la fin. (5 paragraphes)

Première partie.

Le personnage de la mère

C’est un être social et sociable, en accord avec son milieu.

La chambre du bas : celle qui est au ras du sol, visible et d’accès facile, s’ouvre sur l’extérieur, la fenêtre est ouverte, l’air y entre, il est spongieux, c'est-à-dire perméable, l’être humain communique avec le milieu naturel : on respire bien.

Les deux personnages secondaires : ils témoignent d’une ouverture vers un social élargi et nuancé.

Le monsieur noir, c’est l’étranger, l’autre que l’on accepte et que l’on salue, avec une petite nuance d’effort pour bien persuader cet homme – et soi-même ?- qu’il est notre égal ; c’est une petite touche d’humour discret.
Avec la voisine les rapports sont plus simples, tout à fait naturels. Une promenade, un petit chien ; on se laisse aller aux petits potins de quartier avec malice mais sans méchanceté. Quelques mots de douceur enfantine (bobos -sucrés) en harmonie avec l’odeur fraîche des fenêtres s’opposent à (cancans - poivre)

Mais Coralline est surtout une mère.

Les expressions : le soir, la chambre du haut, évoquent une autre vie plus élevée, plus secrète, la mission de la mère, mission éternelle, complexe et aimée (depuis la nuit des temps) – (fleurs multiples)- (avec ferveur)

La mission créatrice requiert :
Le don premier
(du lait coule de ses doigts), cette image traduit une sorte de sublimation de l’allaitement dépouillé de la vision érotique du sein .
L’imaginaire (un rêve dans la nuit)
La connaissance. (expressions empruntées à la technologie biologique : synapses, neurones)
mais aussi
La patience, le scrupule (elle s’interroge- une ébauche)
La confiance et l’espoir (elle va réussir)
et puis
La culture poétique, les fantasmes des croyances sur le passé et l’avenir, toutes ces histoires qui plaisent aux enfants.

Au 5ème paragraphe sont développées toutes les visions imaginaires d’un monde poétique et idéal où les barrières seront abolies entre les races et les générations et même entre les éléments de l’univers (des noirs, des jaunes, des blancs)-(des mères- enfants)-(des mondes errants)

Cependant la mère ne perd pas le contact avec une certaine réalité.
L’enfant réel doit aller à l’école, elle soupçonne qu’il peut lui échapper (lui aussi il a sa petite idée), être en danger. Pour elle, le monsieur noir est un amical passant mais pour son fils, elle a quand même peur, elle cède à la suspicion générale, elle est inquiète, le surveille et le dirige (elle ira voir – elle le ramène) et elle lui prépare ses tartines et du bon chocolat fumant.

En résumé toute cette première partie est axée sur le personnage de la mère. L’enfant n’apparaît pas. Le paragraphe 7 « pour l’instant….chocolat fumant. » est une charnière, une articulation à partir de laquelle s’opère une sorte de glissement au premier plan du personnage de l’enfant.



2ème.partie

La mère perd un peu de son libre arbitre (c’est plus fort qu’elle) elle devient excessive (avec sa chair, avec son sang) elle reste accrochée à l’enfant qui lui donne la main mais lui l’a déjà reniée (sans savoir que c’est sa mère- il dira qu’il n’a pas de parents – il ne retournera pas au village)

L’enfant : il renie le passé (un train de cercueils volants) il l’a fouillé avec désinvolture et mépris.
Le mot grenier évoque les vieilleries, les rebuts. Des mots de dérision, dentelles et mirlitons, confirment son rejet : il a fermé la porte à clé.
Le monde commence avec lui.
Il refait le monde : un monde complètement différent : (une orange bleue) un monde d’amour (pour enserrer l’amour)

Il ment et se moque gentiment de sa mère (il dit qu’il a fait ses devoirs – un volcan de pommes de terre). Il part.

Cependant il reste quelque chose qu’on ne peut dire : un lien secret impossible à renier et qui subsistera jusqu'à la fin (il a le double dans sa poche) elle le regarde partir et sourit, (aux petits pas dans la poussière, elle sait qu’il revient de temps en temps)

Le comportement de cet enfant est à l’image de celui de tous les jeunes qui s’opposent aux parents pour conquérir leur autonomie.


Une troisième partie commence au 12ème. Paragraphe qui est aussi un paragraphe de transition annonçant le retour de la mère au premier plan.

La mère revient à la vie concrète de tous les jours, elle essaie de lutter contre la solitude en s’intéressant à la nature, à sa petite personne, aux misères du monde extérieur, à ses tragédies (pleuvoir tant de sang) mais tout est précaire et vain (une rose éphémère). Ses occupations ne sont qu’un voile sur des interrogations lancinantes, sur les meurtrissures de la vie, sur un deuil mortel. (elle voudrait savoir s’il lui a pardonné la vie).Donner la vie est une grave responsabilité.

Le dernier paragraphe est une fiction symbolique, une orchestration du sentiment de mort et de solitude. L’enfant du monsieur noir - tout pareil au sien - n’est pas parti, il est mort. Et lui il n’a plus sa place chez les Blancs.

Aperçu sur le style.
Le rythme scandé par des sonorités sourdes (an ..an..) qui se répètent tout au long du texte font penser à ce vers de Baudelaire .
« Mon cœur, comme un tambour voilé, va battant des marches funèbres. »)
Aux images figuratives (il a les yeux tout ronds, pleins de sommeil) ; transposées (l’expression, un petit volcan de pommes de terre évoque cette petite montagne de purée avec un trou au milieu pour y mettre le beurre et que les enfants aiment faire) se mêlent des images tout à fait virtuelles (les petits pas dans la poussière du grenier.)

Conclusion.
Ce conte est en partie autobiographique. La voisine c’est ma voisine, le monsieur noir existe aussi, il passe dans ma rue. Mais la mort de son enfant est une extrapolation fictive des faits divers et des massacres qui ont eu lieu à Paris contre des Magrébins.

D’un pessimisme profond malgré quelques touches d'espoir et de poésie, ce conte n’est pas sans faire écho à l’un des premiers poèmes écrits à 14 ans : Cieux sauvages. Ces cieux laissent entrevoir un instant la clarté d’un monde merveilleux et connaissable puis tirent un grand drap noir devant les yeux d’une humanité puérile et impuissante.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Madame la (le ?) professeur. J'aimerais bien moi aussi, savoir comme ça ce que j'écris... Et par cette chaleur encore !
quelle verdeur.

Anonyme a dit…

je suis venue faire une visite et j'ai lu l'histoire de Coralline,
Elle me semble familière
merci de ton passage sur mon blog