IL N'Y A PAS BEAUCOUP PLUS D'UN SIECLE
UN PETIT TEXTE DE PIERRE LOTI (1850-1923)
"Au temps de mon enfance, certain beau mois de mai de je ne sais quelle année lointaine.... A cette époque, c'étaient les débuts de la photographie; les «amateurs» ne se risquaient point à en faire, et l'une de mes tantes,—la tante Corinne, si douce et jolie avec ses boucles grises,—qui s'y adonnait dans le seul but de m'amuser, passait pour une novatrice un peu excentrique. Elle ne connaissait encore que les «positifs» directs sur verre,—ce qui, d'ailleurs, convenait bien mieux à mon impatience enfantine, car ainsi je voyais tout de suite la vraie image apparaître.
Les modèles (qui étaient en général ma mère, ma soeur, ma grand'mère, mes autres tantes) posaient au plein air de ce mois de mai-là, presque toujours en un recoin de notre cour ensoleillée, tout près de la porte du caveau qui servait de chambre noire; pour fond, il y avait un adorable vieux mur, tapissé de lierre, de chèvrefeuille et de glycine; pour accessoire, une banquette aux pierres moussues, où refleurissait à chaque renouveau le même dielytra rose. Et je me rappelle ma joie, mon émerveillement lorsque, enfermé avec ma tante-photographe dans l'obscurité du petit souterrain où elle combinait ses drogues magiques, j'épiais sur chaque plaque nouvelle l'apparition de ces marbrures d'abord indécises qui, peu à peu, s'accentuaient pour dessiner des visages aimés.
L'épreuve une fois fixée, c'était moi qui, triomphalement, la rapportais à la lumière du soleil, toujours dans le recoin aux glycines et au dielytra rose, où la famille assemblée l'attendait.
Oui, mais tout cela n'était jamais que grisailles et, à la fin, je ne m'en contentais plus:—Dis donc, bonne tante, est-ce que tu ne connaîtrais pas un moyen de faire aussi sortir les couleurs?
—Oh! ça, par exemple, mon petit!... A moins qu'un diablotin ne s'en mêle.... Et, pour achever sa phrase, elle fit de la main un geste qui signifiait combien ce rêve était irréalisable. Cependant je ne perdis pas tout espoir: elle trouverait peut-être, un de ces jours. C'était déjà si merveilleux, ce qui se passait au fond de ses cuvettes de porcelaine; un peu plus ou un peu moins, pourquoi pas?"
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1 commentaire:
Bonjour Micheline,
Tes articles sont comme toujours porteurs de nostalgie et d'émotion;
j'aime beaucoup le texte de Pierre LOTI, c'est une écriture qui peut paraître désuète de nos jours, mais se réfère à une époque où l'homme était tout près de la nature et de sentiments plus simples vis à vis d'autrui ...
A bientôt et gros bisous, merci de ta visite !
YVES
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