6.5.09

VOYAGES

Vaguement je me prépare pour notre réunion de l’APA , les 3, 4, et 5 juillet prochain à Ambérieu ( dans l’Ain )

Le thème cette année est Voyages et ce n’est pas rien. Je dois choisir où j’irai écrire ou écouter , dire ou ne rien dire .. ça va , je prends surtout l’habitude de ne rien dire c’est tellement plus reposant !!

Des voyages que j’ai faits j’en ai noté quelques aperçus, pas vraiment fait des descriptions minutieuses à enrichir le guide Michelin, mais vécus dans mon atmosphère intérieure
Ma patrie intérieure je l’emmène toujours un peu à la semelle de mes souliers.
Et j’ai toujours du mal à partir …je ne vais quand même pas dire que je n’aime pas les voyages. Je suis contente d’avoir un peu visité la France profonde, ou moins profonde, une frange d’Europe, un soupçon d’Afrique un doigt d’Amérique et un zeste d’Asie.

Alors qu’est-ce que je peux vous dire, surtout envie de faire un clin d’œil quand je rencontre sur la blogosphère des vrais de vrais, exilés du Cantal ou de la Lozère, des apatrides ambulants, des promeneurs solitaires ,ou des petits mots qui font tilt comme la Rosée du matin

La Rosée du matin : le nom de l’ hôtel où nous avons passé une huitaine de jours .Ce fut à Nasbinals, en janvier 1984 ; quelques mois après le décès de ma sœur .
Alors que je vous raconte.. ou plutôt un fais un copié collé de ce que j’ai pu en raconter à l’époque .

« En janvier, nous partons à Nasbinals sur le plateau de l'Aubrac.
Je suis pleine de crainte. J’ai peur de l'insertion de ma vie dans un nouvel espace. Moi qui essaie patiemment de ne pas me voir, je vais être cernée par des lignes inhabituelles, éclairée de lumières naïvement impitoyables. Et tourneront, tourneront tous les pourquoi de ma vie dérisoire. Non sois sage. Tais-toi. Ma révolte fléchit comme cette dure pelote de noir chagrin dont le fil mincit avec la trame des jours.
Alors j'écume quelque mousse de bien être : l'installation dans le train du départ, avec un peu d'inconnu devant. Un roulement doux.
Pierre a tout prévu. Rien à faire. Rien à penser.
Arrivée à l'hôtel : léger, léger voile de plaisir. Confort. Propreté deux étoiles. Des pierres, du bois, des poutres, de la mosaïque, des moquettes. Rien de spécial. J'y jette pourtant un regard mi-curieux, mi-satisfait. Ce doit être cela le luxe. Pourtant ce très grand lit pour deux où l'on peut vivre sa nuit sans sentir l'autre vivre est bien excessif. Chacun a une belle lampe pour lire le soir. Bien. Bien aussi, cette grande tablette où lire, écrire à l'aise. Bien ce radiateur électrique où la manette individuelle délivre le degré de chaleur exacte. Ne pas économiser. On a payé pour ne pas économiser, pour utiliser toutes ces serviettes de bains d'une blancheur immaculée, qu'on change chaque jour à peine dépliées. J'ai payé pour faire travailler cette femme harassée qui change mes draps tous les deux jours. Petite nausée. A peine. C'est l'heure du repas.
Table ornée, mets imprévu, gourmandise flattée. Menus plaisirs.
L'hôtelière est gentille. Elle est contente d'avoir fait cette terrine, de vous la présenter :
- C'est fait maison.
Comment ne pas terminer cette grosse et succulente tranche de pâté ? cette côtelette sauce moutarde, et ces petites pommes de terre sautées, et le fromage, et la bonne tarte maison au sucre et au beurre ? Tant pis, pour une fois ! Merci Madame. C'est très bon.
- Ça vous plaît ? Voulez-vous plus ?
- Non merci, mais je grignote encore un peu de cette énorme part de quiche.
Cette fois c'est dit, j'en laisse et je m'excuse. J'ai payé. Je suis bien libre.
Tout à l'heure j'irai à la pharmacie acheter un léger laxatif.
J'ai mangé des tripoux que je ne connaissais pas : des tripes de moutons avec un peu d'ail, du persil, bien cousues dans un morceau de panse, agrémentés d'une petite sauce et de carottes. Délicieux. C'est l'entrée. Suivent la dinde en sauce, les petits légumes, le fromage, la tarte. Une autre fois je découvre l'aligot : de la tome fondue dans une purée de pommes de terre, avec de la crème fraîche. Splendide. Et le civet de sanglier donc, le grand ramequin de mousse au chocolat, celle que j'aime avec du vrai chocolat noir très fin ! Tout de même je ne finirai pas tout. Je m'excuse. Le boudin aux pommes non plus. On a dit qu'il est de bon ton d'en laisser un peu. Cela prouve bien qu'on est comblé.
Nous bavardons avec la Patronne. Elle est simple et nous confie qu'elle soupe le soir d'un grand bol de bouillon de légumes et de fromages. Elle a un bel hôtel, c'est sûr. Superbe. Avec son mari, ils l'ont fait construire et l'ont ouvert il y a deux ans. Elle raconte simplement. Ses parents tenaient un hôtel à une vingtaine de kilomètres de là. Bien plus petit. Mais le travail ne manquait pas. A dix ans, il fallait aider, pour le vin, pour la vaisselle, il fallait se tenir dans la cuisine. Le salon c'était pour les clients. Alors maintenant elle a son appartement séparé. Elle a une fille de vingt ans, en pension à Toulouse, qui a du mal à décrocher son Bac. Et qui ne viendra pas pour les vacances de février. C'est trop court. Voilà. L'hôtel est bien calme en ce moment, c'est une chance car sa santé devient fragile. Elle fait le feu à la cheminée. Son mari finit la confection et l'installation de la lustrerie. De grands abat-jour de peau. C'est joli. "Oui, on a fait beaucoup par nous-mêmes. C'est nous qui avons proposé les plans, organisé tout l'agencement intérieur. Nous en avons eu du plaisir, plus même que maintenant où tout est à peu près fini".
Cette conversation simple me plaît. Moi aussi j'aime surtout les choses à faire ou en train de se faire.
Nous allons voir la lingerie, les belles machines neuves et modernes, avec cartes perforées, les grandes tables où s'empile le linge à repasser. Tout est propre, net. Le petit atelier où le mari prépare les abat-jour. De grandes peaux achetées directement aux abattoirs attendent d'être découpées avec soin après avoir été tannées.
Cette rampe d'escalier dans l'entrée, c'est le mari qui l'a dessinée. Tout en chêne massif. Je me sens apprivoisée par ces gens, par ces choses en gestation.
La grande salle qui sent le bois, le feu de cheminée, les grosses pierres apparentes, tout cela est juste assez naturel, assez conventionnel aussi pour que mon esprit glisse sans accrocher. Pas de prise à la bête sournoise, meurtrie de brûlures inconscientes et qui dort. Ne pas l'éveiller surtout. Tenir en laisse un mince filet de vie. Tout simple.
La neige. Toute blanche. Toute propre. Mon ensemble de ski est tout à fait douillet autour de mon corps. A Ginette je dois le confort des bottes de cuir fourrées, du bonnet et de la longue écharpe moelleuse.
Je pense à ses pieds qui marchaient dedans, à son souffle qui traversait la laine. Je ne suis pas triste. Je suis un peu elle. Je suis un peu morte à l'intérieur et elle... elle est bien à l'abri aussi. Mon esprit s'endort. De la neige fouettée me cingle les paupières. Je marche contre le vent. Il faut marcher. C'est une idée comme ça, que j'ai encore. L'idée que ça fait du bien. Il faut se faire du bien. On est venu pour ça. Je sens l'air entrer profondément dans mes poumons et sortir à longue haleine. On force un peu le pas, pas trop, juste ce qu'il faut pour sentir que l'on marche. Pierre marche aussi, sans rien dire, un peu en avant. D'accord. De parti pris, d'accord avec tout. Quitte à exploser, à l'improviste pour on ne sait quelle obscure raison, dévastant d'un seul coup notre fragile équilibre.
Une seconde j'imagine que je suis là, toute seule à marcher sur cette route inconnue.
Impossible. Je me repose sur lui. Je lui abandonne les repères, les distances, l'orientation des routes. Je force un peu mon indifférence à choisir ou reconnaître les lieux. Je préfère ne pas regarder, je marche comme une bête. Je vois un arbre tout blanc. Tout propre. C'est suffisant.
Nous rentrons un peu étourdis. Deux anoraks, deux paires de ski dans l'entrée, seuls témoignages d'autres êtres ici. On les apercevra à peine. Tant mieux. Lui un petit moustachu aux longs cheveux, elle une asiatique aux cheveux raides, noir jais.
La neige fond. Le ciel est tout chargé. La route grisaille. Diversion : l'hôtelier nous propose une virée à Laguiole, à une quinzaine de kilomètres. Il va là-bas, en 2CV, porter des tables au "collègue".
Je grimpe à l'avant, sur les genoux de Pierre, tassée et crispée contre son estomac. Nous fonçons sur la route mi-enneigée, mi-dégagée. Pas de chaînes, ni de clous. C'est pour les touristes, paraît-il. Ici on a l'habitude.
Nous nous enfonçons dans un univers clos de partout par l’ouate blanche. C'est bien de n'être nulle part. A la station, il faut reprendre pied. Petite animation des chalets-restaus, comme partout. Les pentes entre les sapins. Les tire-fesses. Les skieurs amateurs. Un petit air du temps où nous emmenions les enfants quand ils étaient à nous, avec encore tout plein de possibles devant. Tout plein ? Non, seulement quelques trajectoires non abouties sur des pistes balisées.
Un grog, au chaud derrière la vitre, puis nous repartons. Pierre est à l'arrière de la fourgonnette, vide maintenant. L'atmosphère s'est un peu allégée, on aperçoit l'hôtel des Œuvres Laïques tout près d'Aubrac, quelques burons endormis, par ici, par-là, dans l'amorce d'un paysage lent et doux.
Savez-vous ce que c'est un buron ? Pas tout à fait une grange, pas tout à fait une ferme. Une bâtisse de pierre solide, une seule grande pièce aménagée sommairement sur une cave où attendra le fromage.
A partir du 25 mai les troupeaux montent aux alpages. C'est le grand départ pour les herbages parfumés. Une cinquantaine de kilomètres à parcourir de la pointe du jour jusqu'au soir.
Le buron c'est le point de ralliement des bêtes pour la traite le soir. Le lait dans les grands pots est mis à cailler près de la cheminée, puis la tome mûrit dans les moules de bois cylindriques en attendant d'être plus élaborée et transformée en fourme, bleus, etc...
Le 13 octobre on redescend aux mas. C'est pour moi une image très littéraire, comme un voile sur mon chagrin.
J'aimerais voir peut-être. Voir l'été ici, revenir dans ce petit troquet où nous prenons un "petit rouge".
Le matin suivant la nature en a rajouté au conventionnel de paix et de solitude : la neige absolument vierge. Un petit soleil tout jaune. Des capuchons blancs aux toits. Un sapin tout givré. L'odeur du fumier qu'un tracteur transporte. Il fait doux. On marche. Un bistrot.
Un bougnat de la Porte de Montreuil de retour au pays. Une parisienne aussi, rapatriée dans son lieu d'origine, légèrement insolite avec son maquillage de ville, le crayon noir des sourcils soulignant un regard fatigué.
Notre séjour s'achève. Nous rentrons demain.
J'ai bien tenu.

11 commentaires:

vincent a dit…

preueueueumss!!!
Ambérieux!!!! j'espère que tu me feras signe si je suis là!
C'est la porte à côté.
Tu as fait une belle histoire sur le massif central!
Tu connais donc les tripoux, les burons. mais tu ne connais pas la trufade et les bouriols.
merci de mettre ce pays en valeur. C'est d'autant plus gentil de la part d'une "parigote".

Brigetoun a dit…

très beau (et pas uniquement à cause de la Lozère et de l'Aubrac)

jean-claude a dit…

Synchronicité!!!
Ce matin, avant de venir prendre un café à Bobigny, j'ai cliqué sur ce lien dont j'avais pris note pour te demander des précisions, comme si tu pouvais nous en dire plus sur cette photo. Et quand je suis arrivé ici, je me suis dit: "Ce texte me semble familier". Parmi la série de billets j'avais pu lire ce texte même.
As-tu jamais pensé de catégoriser/taguer les billets qui ont trait à l'AUTOBIOGRAPHIE, ce qui permettrait aux lecteurs, d'un coup de souris, de réunir tous les textes?

Solange a dit…

J'ai bien aimé lire ces moments de votre vie et me retrouver dans un endroit inconnu.

Pralinette a dit…

Comme je me suis régalée à lire ce texte ! Toutes ces émotions, toutes ces sensations, et la bête qui ne se réveille pas, ouf ! et Pierre qui pense à tout, comme toujours ;)
On a envie de se trouver dans ce cocon douillet. Et tous ces bons mets faits maison. Un bon paquet de bonheur !

micheline a dit…

vincent, non je ne connais pas tout sur ton coin de paradis. on attendra que tu mettes en ligne ce que nous réserve ton art d'écrire.

brigetoun, merci

jean claude,
pris note de tes suggestions..mais difficile pour moi d'établir des catégories tout est mélangé au "fil des jours" ;ça impliquerait des doubles à reprendre et reclasser + des notes d' autobiographie éparpillées dans des papiers que je me propose toujours de répertorier..
le temps m'échappe et fuit..
oui j'avais déjà mis en ligne cet extrait sur Nasbinal
et aussi le conte de Coralline, --j'avais oublié; on peut retrouver aussi l'analyse que j'avais essayé d'en faire à
http://micheline84.blogspot.com/2005/06/notes-sur-coralline.html

la photo: celle de l'endroit où j'ai vécu mon enfance à partir de 3 ans puis adolescence.

solange,oui mais de loin on se comprend quand même

pralinette , tu as bien tout compris , comme toujours

jean-claude a dit…

Il y a bête et bête. Parfois il faut passer par la bête pour qu'il y ait transformation. Revoir ses légendes de la Grèce antique. Même les bêtes les plus sauvages peuvent s'apprivoiser.

Si le temps fuit on ne peut rien y faire, autrement, tu n'as besoin que d'une catégorie: autobiographie. De toutes façons, pour nous les patients[sic], on trouvera bien ce qu'on recherche.

micheline a dit…

technique:y a-t-il un technicien dans la salle??
en principe quand je mets une note sur mon blog, je sais ( pas depuis longtemps!!) mettre un lien qui apparait souligné et qui s'ouvre par un clic
mais si je fais un commentaire chez moi , le lien n'apparait pas souligné et ne peut s'ouvrir directement.je viens de remarquer qu'en le sélectionnant, il apparaît un petit carré qu'on peut cliquer pour faire apparaître l'adresse à ouvrir!! ??
fûtés ces fournisseurs..??

Pépé le moko, dépanneur a dit…

Voici le code:

TEXTEPS: je dépanne à domicile aussi! :)

jc a dit…

Je viens de te l'envoyer par courrier

Anonyme a dit…

Souvenirs, émotions et sensations, un texte touchant et émouvant.
J'ai pris un grand plaisir à le lire.
Pas facile de laisser des commentaires.
Bise
Marie
http://www.lapetitemarie.com/