10.9.07

à ceux qui s'en sont sortis....

Chose promise: voici un aperçu du début de notre évacuation en 1940.

"Le 14 juin au matin - c'est un vendredi - Papa nous a réveillées de bonne heure, plus tôt que d'habitude. Des trains chargés de réfugiés s'arrêtent, repartent. Les nouvelles sont alarmantes. Ils sont à St Dizier. Ils sont à Neufchâteau. Ils massacrent tout sur leur passage. Que tous ceux qui peuvent partir partent, mais que ceux qui ont des responsabilités restent à leur poste.
Je prépare ma petite valise et me voilà partie pour mon école. Je n'ai pas dépassé l'entrée du village que je me trouve au milieu des gens attroupés dans la rue.
Mme P…, la notable du quartier m'interpelle :
- Où vas-tu Micheline?
- Rejoindre mon poste.
- Tu n'y penses pas!
- Ils vont faire sauter le pont de la Marne à Bologne, tu ne pourras plus rentrer. N'y va pas.
Je rebrousse chemin et alerte ma famille. La campagne d'intoxication de la cinquième colonne fait son œuvre. Il faut partir ! Les femmes et les jeunes filles surtout ! Avec les soldats, vous savez ! ... J'avoue que j'ai peur. La peur se répand avec une rapidité surprenante. Maman regarde sa maison, ses armoires, ses richesses, mais qu'est-ce que cela quand ses filles sont en péril ! Nous préparons des valises, y fourrons tout ce que nous avons de plus précieux, dans le petit sac noir, les papiers, l'argent, quelques titres, fruit de toutes les économies, sans oublier un peu de nourriture et - le masque à gaz. Vers dix heures moins le quart un train de marchandises s'arrête devant chez nous. Des agents en congé, avec leur famille, y sont installés : la famille T…, la famille C...
- Viens maman, il faut partir.
Il fait beau. Nous nous installons sur des plates-formes découvertes. Au dernier moment maman a roulé ses couvertures et ses draps neufs. On a hissé les balluchons sur le train et nous voilà partis. On a dit au revoir à papa : il reste lui jusqu'au dernier train pour assurer le service. Rendez-vous à Chagny, lieu de ralliement des cheminots de la région. A bientôt !
Le train roule à allure modérée depuis deux ou trois kilomètres quand soudain, un vrombissement sourd annonce l'arrivée des avions. Nous levons la tête : ils sont là. Une rafale de mitraille sonne sur le ballast et contre le train. Sauve qui peut ! Non, ils sont passés. Le chapelet de la religieuse voisine qui tournait à toute vitesse ralentit un peu. Mais les voilà qui reviennent. Tout le monde saute du train et on a à peine le temps de s'allonger dans les fossés qu'une seconde rafale sème la terreur.
Je serre ma petite Ginette( ma sœur,) par la main. Elle ne dit rien. C'est moi qui décide encore une fois :
- Viens maman. Allons nous-en. Ils vont encore revenir.
Quelques propos perplexes s'échangent : peut-être qu'à Chaumont on pourrait encore trouver un train qui nous emmène. Oui c'est ça, il faut essayer de rejoindre Chaumont, à pied, en coupant à travers champs, cinq à sept kilomètres environ.
Maman ne dit rien, elle rassemble un gilet, un peu de provision de bouche, son sac noir, jette un dernier regard à tous nos bagages abandonnés et nous voilà partis. D'un bon pas d'abord, notre groupe talonné par la frousse, s'éloigne rapidement puis s'étire. Il fait chaud. Certains sont restés dans les wagons couverts.
Vers midi nous arrivons au viaduc. C'est un coin dangereux. On s'en rend compte immédiatement. Une nouvelle vague d'avions s'abat sur l'objectif à détruire et nous sommes arrivés là, dessous, bêtement. Un cri retentit. "Couchez-vous" ; ce sont des obus - des bombes - cette fois, elles sifflent sur nos têtes et explosent dans un bruit de tonnerre. Nous sommes serrées toutes les trois l'une contre l'autre, visage contre terre. Maman a passé un bras par-dessus nos corps, mais ne peut s'empêcher - tant le sifflement nous a frôlées - de s'écrier : "celle là, c'est pour nous ״ Nos reins se creusent... puis le temps se remet en marche. Le viaduc n'est pas touché. Le calme revient. Nous courons vers la ville, mais de nouveau, alerte ! Les sirènes hurlent. Nous nous précipitons dans les abris proches de la gare. Les avions s'éloignent. Nous atteignons la gare.
Note: nous réussirons à atteindre un camp de réfugiés à Alès où nous resterons un mois avant d'être autorisées à franchir la ligne de damarcation entre la zône libre et la zone occupée où nous retrouvons papa qui, après périgrinations est déjà rentré à la maison entièrement pillée. Mais nous n'avons pas de vistimes dans notre famille proche, et nous sommes là tous les quatre.

Le camp de réfugiés à Alès: ici la salle des fêtes transformée en dortoir


Au premier plan les 3 matelas où nous avons dormi , ma mère, ma soeur et moi
Accrochés au mur quelques objets. On peut distinguer les masques à gaz( dans leur étui) qui ne nous ont pas servis . A l'extérieur, dans la cour : des tréteaux pour les repas et un robinet d'eau pour toutes les toilettes.

6 commentaires:

Rosie a dit…

Bonjour

Je te lisais en j'en avais des frissons dans le dos.

Pas drôle d'avoir vécu tout cela.

Nous au Canada, n'avons jamais eu la guerre, mais j'ai beaucoup lu là-dessus.

Tu racontes si bien, j'espère que tu nous en raconteras d'autres tranches de vie.

Bonne journée et bisous de ta p'tite cousine du Québec xoxoxo

Anonyme a dit…

Comme c'est douloureux à lire et quelle force il vous a fallu... malgré la peur qui est en toi, je te vois protégeant ta petite soeur et je suis émue... Triste période.

micheline a dit…

"triste période"!non triste que chose que la guerre qui, pour n'être pas chez nous pour l'instant n'embrase pas moins d'immenses pan du globe.

"La force"??...que faire quand on est pris au piège??faire face au mieux de notre instinct de survie!

Rappeler ce triste passé ne peut se justifier que par l'espoir de l'éviter à l'avenir.
et que le "Plus jamais ça" ne reste pas vain

Brigetoun a dit…

vous aviez plus de raisons pour ce départ que ma grand mère qui, craignant les italiens '?) est partie dans un train bondé de Toulon à Bordeaux pour en revenir.
Mais dans la majorité des cas ce fut affreux. Merci de nous le rappeler

Rosie a dit…

Juste un p'tit coucou en passant en ce mercredi.

Passe une belle journée et bisous de ta p'tite cousine du Québec. xoxoxox

vincent a dit…

Emouvant ce récit.
ma famille maternelle avait la chance d'habiter en zone libre. Ma mère et mon grand père m'ont souvent conté ces histoires de gens du nord de la France qui passaient par le cantal (faut le faire c'était pas une destination branché, mainteant non plus d'ailleurs).
C'était une occasion d'échanges de cultures enrichissantes.
Certains revenaient après la guerre revoir leur hébergeurs. Mais peu il faut l'avouer.