4.11.05

La vie continue

Février 1984.
11 mois après le décès de ma sœur.

Voyage à Nasbinal, sur le plateau de l’Aubrac.

En février, nous partons à Nasbinal sur le plateau de l'Aubrac.
Je suis pleine de crainte. J’ai peur de l'insertion de ma vie dans un nouvel espace. Moi qui essaie patiemment de ne pas me voir, je vais être cernée par des lignes inhabituelles, éclairée de lumières naïvement impitoyables. Et tourneront, tourneront tous les pourquoi de ma vie dérisoire. Non sois sage. Tais toi. Ma révolte fléchit comme cette dure pelote de noir chagrin dont le fil mincit avec la trame des jours.

Alors j'écume quelque mousse de bien être : l'installation dans le train du départ, avec un peu d'inconnu devant. Un roulement doux.
Pierre a tout prévu. Rien à faire. Rien à penser.

Arrivée à l'hôtel : léger, léger voile de plaisir. Confort. Propreté deux étoiles. Des pierres, du bois, des poutres, de la mosaïque, des moquettes. Rien de spécial. J'y jette pourtant un regard mi-curieux, mi-satisfait. Ce doit être cela le luxe. Pourtant ce très grand lit pour deux où l'on peut vivre sa nuit sans sentir l'autre vivre est bien excessif. Chacun a une belle lampe pour lire le soir. Bien. Bien aussi, cette grande tablette où lire, écrire à l'aise. Bien ce radiateur électrique où la manette individuelle délivre le degré de chaleur exacte. Ne pas économiser. On a payé pour ne pas économiser, pour utiliser toutes ces serviettes de bains d'une blancheur immaculée, qu'on change chaque jour à peine dépliées. J'ai payé pour faire travailler cette femme harassée qui change mes draps tous les deux jours. Petite nausée. A peine. C'est l'heure du repas.

Table ornée, mets imprévu, gourmandise flattée. Menus plaisirs.
L'hôtelière est gentille. Elle est contente d'avoir fait cette terrine, de vous la présenter :
- C'est fait maison.
Comment ne pas terminer cette grosse et succulente tranche de pâté ? cette côtelette sauce moutarde, et ces petites pommes de terre sautées, et le fromage, et la bonne tarte maison au sucre et au beurre ? Tant pis, pour une fois ! Merci Madame. C'est très bon.
- Ça vous plaît ? Voulez-vous plus ?
- Non merci, mais je grignote encore un peu de cette énorme part de quiche.
Cette fois c'est dit, j'en laisse et je m'excuse. J'ai payé. Je suis bien libre.
Tout à l'heure j'irai à la pharmacie acheter un léger laxatif.

J'ai mangé des tripoux que je ne connaissais pas : des tripes de moutons avec un peu d'ail, du persil, bien cousues dans un morceau de panse, agrémentés d'une petite sauce et de carottes. Délicieux. C'est l'entrée.
Suivent la dinde en sauce, les petits légumes, le fromage, la tarte.
Une autre fois je découvre l'aligot : de la tome fondue dans une purée de pommes de terre, avec de la crème fraîche. Splendide. Et le civet de sanglier donc, le grand ramequin de mousse au chocolat, celle que j'aime avec du vrai chocolat noir très fin ! Tout de même je ne finirai pas tout. Je m'excuse.
Le boudin aux pommes non plus. On a dit qu'il est de bon ton d'en laisser un peu. Cela prouve bien qu'on est comblé.

Nous bavardons avec la Patronne. Elle est simple et nous confie qu'elle soupe le soir d'un grand bol de bouillon de légumes et de fromages.

Elle a un bel hôtel, c'est sûr. Superbe. Avec son mari, ils l'ont fait construire et l'ont ouvert il y a deux ans. Elle raconte simplement. Ses parents tenaient un hôtel à une vingtaine de kilomètres de là. Bien plus petit. Mais le travail ne manquait pas. A dix ans, il fallait aider, pour le vin, pour la vaisselle, il fallait se tenir dans la cuisine. Le salon c'était pour les clients. Alors maintenant elle a son appartement séparé. Elle a une fille de vingt ans, en pension à Toulouse, qui a du mal à décrocher son Bac. Et qui ne viendra pas pour les vacances de février. C'est trop court. Voilà.

L'hôtel est bien calme en ce moment, c'est une chance car sa santé devient fragile. Elle fait le feu à la cheminée. Son mari finit la confection et l'installation de la lustrerie. De grands abat-jour de peau. C'est joli. "Oui, on a fait beaucoup par nous-mêmes. C'est nous qui avons proposé les plans, organisé tout l'agencement intérieur. Nous en avons eu du plaisir, plus même que maintenant où tout est à peu près fini".

Cette conversation simple me plaît. Moi aussi j'aime surtout les choses à faire ou en train de se faire.
à suivre..

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ta petite narration est tout plaisir. Echanges, une certaine intimité, chaleur humaine et douceur veloutée. Mon rêve serait de passer les fêtes de fin d'année dans un coin non touristique, avec une ambiance comme tu le décris. Se faire chouchouter quoi. Grosses bises.

Anonyme a dit…

C'est tellement vrai que pour les actifs dont j'ai été, (que je suis encore mais de plus dans ma tête et de moins en moins dans mon corps...)c'est un peu frustrant d'être obligé de s'arrêter de faire, surtout quand l'oeuvre ou le chantier que vous avez créé a demandé du temps... Mon dernier gros chantier : notre cuisine, chape et carrelage compris, mobilier à assembler, plans de travail et évier à tailler et encastrer, les quatre murs àcarreler de céramique jusqu'au dessus des portes... J'ai mis du temps pour faire le tout sans aide autre que morale !
Cette anné-là, il y a 4 ou 5 ans, du printemps à l'automne on n'a fait tous nos repas sur notre barbecue de jardin et un rond de réchaud électrique placé dans la salle à manger.
Mon épouse a eu beaucoup de patience.
J'étais quand même content d'en terminer. Jusqu'à la fin j'ai eu peur de rater quelque chose... mais ça s'est bien passé : la chance en plus d'un peu d'habileté.