7.3.06

J'étais née de la terre.....

Ces mots doivent être pris, d'abord au sens propre, comme en témoigne le début de mon histoire :

On l'appelait le Châté. Une survivance sans doute de je ne sais quelle munificence dont il ne restait qu'une humble ferme et une jolie légende : un trésor enfoui au fond d'un puits disparu. C'est là que je suis née en mai 1920.Là où je suis venue souvent pendant ma petite enfance.
J'étais adolescente quand je revins, après de longues années, revoir la maison désormais close. Derrière le volet de bois, tiré sur la chambre, dormait la magie de mes premières sensations, de mes premiers souvenirs. Un haut lit de plume et de laine, un pétrin où reposait la pâte odorante quand, souple et dorée, elle ne s'enroulait pas autour des bras bruns et vigoureux de ma grand-mère.
A côté était la salle commune, avec sa table grande et forte, l'évier de pierre sous la fenêtre parcimonieuse, le seau d'eau fraîchement puisée, le fourneau bas et large où la braise couvait toute la nuit et surtout le four. Le four à pain et à gâteaux où la flamme dévorait de gros fagots avant de cuire et de restituer la miche ventrue et la tarte aux prunes, comme pour une fête.
Dehors, c’étaient les prés, celui de devant avec sa sente médiane menait quelque part vers les trois ou quatre fermettes du hameau de la Madeleine dont nous faisions partie, perdues dans la feuillée de l'autre côté du Cabri, un vague ruisseau interdit. Des champignons blancs blottis dans la rosée. Un cabanon au toit pointu, couvert de paille, une mare aux canards et aux grenouilles, un puits de frayeur qui avalait les seaux au bout d'une chaîne grinçante et puis le jardin, protégé des poules et des enfants par un grillage mais qui sentait si fort la fraise qu'il renaît à chaque fois au moindre effluve évocateur.
On gagnait Seveux, le bourg le plus proche et son pont sur la Saône, par des chemins ténébreux, enfoncés dans les frondaisons.
Mes grands-parents paternels avaient espéré voir se continuer la lignée dans ce coin perdu mais douillet de Franche-Comté.
L'aîné quitta la terre. Les deux filles se marièrent dans la région. Mais le dernier des fils, Michel était revenu au pays, la guerre terminée, une jeune femme de la ville, fraîche et pimpante à son bras. Il souriait d'un petit air fanfaron et narquois à ces "bonnes filles de chez nous" que, disait l'oncle Félix, il aurait mieux fait d'épouser. Mais il ne craignait rien. Sous le flot mousseux des cheveux cendrés et des cotillons à la mode se cachait une fille de la terre, élevée à la diable et à la dure et qui ne rechignait pas devant la besogne.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu me ramène aux grandes vacances scolaires des années 40/50, chez mon oncle. Tout y était comme ça et il y faisait bon vivre. D'autant que l'oncle et la tante avait trois filles, dont la plus jeune n'avait que 354 jours de moins que mois...
C'était hier, demain sera un autre jour
Bisous

Anonyme a dit…

Jolis souvenirs. Franche-Comté, mon arrière-grand'mère était francomtoise et ma grand(mère en avait hérité non seulement la vie, mais le goût pour la concouaillotte (?)...mille excuses si c'est mal écrit..

micheline a dit…

Mamounette
oui la cancoillote est une spécialité de Franche Comté, c'est un fromage à pâte molle qu'on trouve maitenant un peu partout.je crois que je saurais encore en faire à partir du lait frais ..mais nous l'achetons..et ma petite fille aime l'enrouler autour du couteau pour le déposer sur le pain, avec un peu de beurre c'est encore meilleur. Mais il n'est plus si coulant qu'autrefois!bienséance oblige!!