22.3.06

MYSTICISME

Le Certificat d'Etudes approchait .
Il fallait réintégrer, après la récréation du soir, la salle empoussiérée pour les inévitables deux problèmes ou dictée-questions. Dehors l'herbe foisonnait de toute sa sève, les feuilles du tilleul nouvellement dépliées brillaient de tout leur vert
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Ma crise de mysticisme religieux se situe un peu avant.
Le dimanche maman nous préparait pour la messe de dix heures et demie. Absolument athée ma petite mère, mais c'était l'occasion de voir ses filles - de les faire voir? - propres comme un sou neuf, parées de ces jolies toilettes dont le renouvellement chaque printemps et chaque automne, lui mettait au cœur une petite fièvre créatrice et poétique.
Nous partions, ma sœur et moi, un peu raides dans nos souliers vernis, qu'il ne fallait pas, à tout prix, écorcher aux pierres du chemin, un peu frissonnantes sous le tissu léger qui flottait au vent encore aigre du printemps. De rigueur aussi le joli chapeau de paille fleuri, pour entrer à l'église. On y respectait scrupuleusement tous les gestes et attitudes rituels mais il était permis de se laisser envahir par la très douce hypnose sensuelle qu'enfantaient l'encens et l'harmonium. Le mois de Marie avec ses reposoirs, ses cantiques, ses débauches de pétales de pivoines et de roses était une fête de tous les sens. J'eus une crise mystique.

Madame Riot, une vieille dame qui nous initiait au catéchisme était d'une piété si convaincue que je fus saisie par l'amour divin et sa terrible tyrannie. Dans le froid de notre chambre, le soir, je faisais agenouiller ma petite sœur qui devait avoir cinq ou six ans, pour la faire prier : elle se soumettait sans murmure aux exigences de mes convictions.
……………
L'année suivante ce fut le curé qui nous prépara à la Communion solennelle. Cette année fut celle de bouleversements profonds. Je perdis tout à fait la foi. Ce vieux curé qui sentait l'encens moisi et le tabac froid devait l'avoir perdue aussi et se contentait de nous faire réciter les réponses toutes faites aux questions toutes faites consignées dans le livret d'usage, tandis qu'il tâchait d'ignorer que, sur les bancs derrière nous, les garçons nous lançaient quelques projectiles puants ou collants, attendant la sortie pour nous attaquer sournoisement.

Si je détestais ces garçons sots et agressifs qui nous attendaient à la sortie de l'église, ce que j'éprouvais quand ils nous serraient les poignets ou nous tordaient les bras était bien autre chose qu'une douleur physique ! Et ils le savaient bien sans doute

C'est dans cette atmosphère bête et méchante que Dieu fit naufrage tout aussitôt. Ma réaction fut brutale, absolue, comme l'avait été ma foi. On ne me referait plus le coup du Père Noël!

Le jour de ma première communion, j'authentifiai mon reniement par une profanation : je pris de la nourriture avant de partir à la messe, à l'insu de tous, tout à fait volontairement.

Pendant la cérémonie je n'eus pas à déplacer beaucoup mon regard du tabernacle vers un être plus accessible. Celui qui tenait l'harmonium, en face du premier rang des filles était un splendide gars de la campagne et quand il chantait de sa voix pleine et grave, dieu se faisait homme. Il avait le profil fervent, immobile, tout pénétré d'un feu intérieur qui suffisait à mes rêveries, à mes extases. Je fus envahie par une grande passion muette, sans désir ni espoir, que celui de l'apercevoir, quand il passait sur la route près de notre maison, partant pour les travaux des champs.

5 commentaires:

Mathieu a dit…

Quel verbe vous avez.

Ce fut fort agréable, de vous lire.

Gelzy a dit…

Dieu a plus d'un tour dans son sac, chez moi aussi il plaçait sous notre regard une de ses créations réussies : un beau gars chantant !

Anonyme a dit…

Un p'tit bonsoir en passant Micheline ...
J'ai vu le printemps ce week-end mais je n'ai pas su le retenir, hélas !

marie.l a dit…

que j'ai aimé lire ce texte ! et que de souvenirs il a réveillé en moi, et pas seulement "les habits du dimanche" et "le renouvellement des toilettes au printemps et à l'automne"

Anonyme a dit…

un petit coucou micheline avant d'aller dormir... beaucoup de fatigue en ce moment et en plus avec ce temps... pas trop la forme... Ils on en plus décidé de me piquer une heure de sommeil...rrrrr c'est pas jute...
Je te souhaite une bonne soirée et un bon dimanche.. Bisous .I sabelle