Affecté, après sa blessure, au poste de D.C.A. de Dammartin-en-Goëlle, papa avait remarqué l'air sérieux de la petite serveuse du café que fréquentaient les soldats, et l'avait séduite par un brin de courtoisie et de gentillesse dont elle n'avait pas l'habitude. Elle l'avait suivi sur ses terres.
Pour elle, qui n'avait connu que celles des autres, celles des grands propriétaires de la Brie ou du Soissonnais où, avec son père et ses neuf frères et sœurs elle avait travaillé à tâche, trempée jusqu'au ventre au long des rangs interminables de betteraves à arracher ou brûlée de soleil quand la moisson battait son plein, c'était l'espérance.
Bien vite cependant elle ne vit dans la petite exploitation de ses beaux-parents qu'un autre aspect de la misère ; terres ingrates, travaux routiniers ne permettraient guère que de savourer la lenteur du temps au long des soirées d'hiver ou d'éclairer les dimanches d'un bruit d'abeille, d'un parfum de mûre, non de satisfaire sa jeune impatience. Et puis le bras guéri mais affaibli de son mari pourrait-il supporter les rudes travaux des champs ? Vraie raison ? Alibi ? Toujours est-il qu'elle finit par le persuader de tenter sa chance ailleurs. Un certain cousin Rigotte, employé au chemin de fer, lui donna la marche à suivre. On lui offrit un poste. Le sort en était jeté, il serait fonctionnaire.
Le père avait attelé la Mourette, chargé sur la charrette un maigre balluchon, un lit et un matelas, serré son fils et la toute petite de trois mois dans ses bras en essuyant une larme. La mère n'avait rien dit. Elle savait bien que les filles de la ville ne sont pas sûres. Les rapports entre les deux femmes n'avaient pas été sans ambiguïté. Dès la première barattée ma grand-mère avait cru bon l'interroger la jeune maîtresse de maison :
- Garderons-nous du beurre ?
Et ma mère croyant deviner des habitudes d'austère économie, de répondre :
- Ce n'est pas la peine.
Maladresse impardonnable alors qu'il eût été si simple de dire :
- Faites comme d'habitude.
- Tu vois, se plaignit la mère à son fils, elle ne veut pas que nous gardions du beurre, elle veut tout vendre.Il y eut ainsi toutes sortes d'insidieux froissements et malentendus. Ma mère se tenait sur ses gardes, ma grand-mère affectait une humilité suspecte. Elle n'était plus chez elle. Elle s'isolait aux champs comme une servante, demandait la permission de donner un oeuf frais à ce "Tignot". Le Tignot, c'était son premier petit fils, mon cousin Raymond, en visite chez sa grand-mère!
Pour elle, qui n'avait connu que celles des autres, celles des grands propriétaires de la Brie ou du Soissonnais où, avec son père et ses neuf frères et sœurs elle avait travaillé à tâche, trempée jusqu'au ventre au long des rangs interminables de betteraves à arracher ou brûlée de soleil quand la moisson battait son plein, c'était l'espérance.
Bien vite cependant elle ne vit dans la petite exploitation de ses beaux-parents qu'un autre aspect de la misère ; terres ingrates, travaux routiniers ne permettraient guère que de savourer la lenteur du temps au long des soirées d'hiver ou d'éclairer les dimanches d'un bruit d'abeille, d'un parfum de mûre, non de satisfaire sa jeune impatience. Et puis le bras guéri mais affaibli de son mari pourrait-il supporter les rudes travaux des champs ? Vraie raison ? Alibi ? Toujours est-il qu'elle finit par le persuader de tenter sa chance ailleurs. Un certain cousin Rigotte, employé au chemin de fer, lui donna la marche à suivre. On lui offrit un poste. Le sort en était jeté, il serait fonctionnaire.
Le père avait attelé la Mourette, chargé sur la charrette un maigre balluchon, un lit et un matelas, serré son fils et la toute petite de trois mois dans ses bras en essuyant une larme. La mère n'avait rien dit. Elle savait bien que les filles de la ville ne sont pas sûres. Les rapports entre les deux femmes n'avaient pas été sans ambiguïté. Dès la première barattée ma grand-mère avait cru bon l'interroger la jeune maîtresse de maison :
- Garderons-nous du beurre ?
Et ma mère croyant deviner des habitudes d'austère économie, de répondre :
- Ce n'est pas la peine.
Maladresse impardonnable alors qu'il eût été si simple de dire :
- Faites comme d'habitude.
- Tu vois, se plaignit la mère à son fils, elle ne veut pas que nous gardions du beurre, elle veut tout vendre.Il y eut ainsi toutes sortes d'insidieux froissements et malentendus. Ma mère se tenait sur ses gardes, ma grand-mère affectait une humilité suspecte. Elle n'était plus chez elle. Elle s'isolait aux champs comme une servante, demandait la permission de donner un oeuf frais à ce "Tignot". Le Tignot, c'était son premier petit fils, mon cousin Raymond, en visite chez sa grand-mère!
3 commentaires:
Les brus des villes "amenées" à la ferme par le fils ont rarement eu la vie facile. Aujourd'hui encore, les unions entre trop grande différence peuvent paraître téméraires, ça n'est pas une raison suffisante, quand on est jeune, pour ne pas croire à l'amour.
En tout cas, ton tableau est superbe d'authenticité.
Bonsoir Micheline, c'est agréable de lire tes écrits, on al'impression de le vivre en réel.. Je connais un peu ce milieu de fermier parce que mon beau-frère est agriculteur en seine et marne... et la vie de feu sa mère n'a vraiment pas été drôle... Bonne nuit. Bisous Isabelle
Aben, oui les grandes différences posent des problèmes que l'amour, parfois, peut résoudre.
et en la circontance c'était entre petits propriétaires terriens et journaliers au service des grands propriétaires de la Brie dont venait ma mère même si elle s'en était quelque peu évadée.mais les choses se sont arrangées,comme vous verriez si je racontais la suite
tu voudrais Fripouille? c'est si loin tout ça.! mais merci de ton comment et gros bisous et courage pour la vie d'aujourd'hui!
micheline
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