10.3.06

La terre(suite) : Quand les enfants s'en vont

Bref la bonne Séra ne fut pas fâchée à l'idée de se retrouver seule avec son homme, gouvernant de nouveau son beurre et ses fromages. Ils trouveraient bien le moyen de finir les récoltes d'automne, d'user leurs dernières forces sur cette terre ingrate mais familière. Peut-être y avait-il aussi tout au fond de son cœur une sorte de soulagement, un espoir inavoué dans les choses du Progrès qui assurerait à son petiot un avenir à l'abri des aléas de la dure vie des champs.
Comme elle avait tremblé pour lui ! Elle revit un instant le seul grand voyage qu'elle fit à Grenoble, avec son homme l'Alfred. Ils allaient revoir une dernière fois leur fils mourant à l'hôpital militaire. Le petit chasseur, lors d'une mission de reconnaissance, avait été tiré tout droit par une sentinelle prussienne embusquée derrière un fourré...
Le cheval a viré brusquement. Il file vers les lignes amies. Son oreille bat sous le sang qui gicle. Il ramène le petit chasseur affaissé sur son encolure jusqu'au poste où les camarades le reçoivent dans leurs bras.

L'artère de l'épaule est sectionnée et c'est un miracle qu'un caillot se forme et arrête l'hémorragie mortelle. Cependant sous la plaie refermée quelque chose ne tarde pas à pourrir. L'infection gagne de vitesse. Il est perdu. On prévient les parents qui entreprennent ce long voyage. Comment ? Par où sont-ils passés ? Je n'ai pas su, pas demandé. La seule chose à savoir : quand ils arrivent, leur enfant vit. Il est mieux même.
Un jeune chirurgien, hardi pour l'époque, a débridé la plaie, ligaturé l'artère, nettoyé le foyer d'infection. Vingt ans de forces vives allaient faire le reste. Merci mon Dieu !Oui c'était mieux qu'il parte maintenant pour un travail plus doux, plus sûr. Ma grand-mère Séra rangea dans l'album, la photo de son petit soldat debout aux côtés de sa belle infirmière et caressa la tête du vieux chien César.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Qu'est-ce que tu écris bien...
Je t'embrasse