21.12.06

EN PENSION (suite)

Nous couchions loin du bâtiment central, rue Decret, dans une ancienne maison bourgeoise dont les pièces avaient été transformées en dortoirs de cinq ou six lits. Draps et couvertures arrachés au premier son de cloche. Un sous-sol sombre et froid pour la toilette - en sabots à cause du sol mouillé - des cuvettes alignées sur des tréteaux, à remplir à l'unique robinet d'eau froide. La pionne à la sortie qui, d'un geste noir et glacé, me renvoya avec ma cuvette pour nettoyer mon peigne. Je me plaignis à ma mère :
- Il y a une tache noire sur mon peigne! C'est dans la corne!
Mais on n'en racheta pas d'autre. Ensuite, le lit à mettre au carré. Le manteau de ratine glacé. Le chapeau d'uniforme bleu marine. Le piétinement dans la cour, le ventre vide. La traversée de la ville pour rejoindre, bien en rangs, le réfectoire où nous attendait, sur des tables de marbre graisseux, le bol de café au lait sale et tiède.
La petite étude du matin. Les cours.
De jolies madames qui nous jaugeaient des pieds à la tête. D'autres drapées dans leur dignité et leur prestige, ou habillées d'un sourire convenu et creux, sauvegarde de leur intégrité. De toute façon ne pas se commettre!
C'est la directrice qui nous "faisait" Morale. Des vêtements noirs, des cheveux noirs crépus, des yeux de perle noire qui vous fouillaient jusqu'au creux du ventre. De grandes pauses de silence sacré. Une injection de morale noire et profonde qui nous sidérait et dont je subissais l'emprise. Seul le prof de Math et Sciences m'empêcha de tomber complètement en léthargie. C'était une petite bonne femme marrante et un peu diabolique. Elle nous appelait parfois ses chéries et se passionnait pour la naissance d'une goutte de nitroglycérine. On la disait divorcée. De tous mes yeux je m'accrochai à elle, à son sourire, à la jolie petite bouclette qui tombait d'un seul côté de son visage. Je finis l'année 1ère en math. Mais on a dit qu'il ne fallait pas trop faire confiance à la rigueur de son enseignement!
à suivre..

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"...il ne fallait pas trop faire confiance à la rigueur de son enseignement..." Ben voyons, une divorcée avec une petite mèche bouclée qui s'échappe le long du visage, ne peut pas être très rigoureuse dans son travail ! :-))
Bouh ça me rend triste et me file la chair de poule, un billet pareil !
Bises à toi.

Anonyme a dit…

Pas drôle du tout la vie de pensionnaire à ce moment-là !