28.11.07

1946: enseigner après la dernière guerre en 6ème à Troyes.

Mais ce que j’aimais, c’était enseigner. J’en savais assez pour mes gamines de douze ans. Et j’apprenais mes leçons avec elles, c’était plus marrant. Je perfectionnais mon orthographe aussi. J’aimais bien la dictée. Je choisissais très soigneusement un beau texte, et je le disais de tout mon cœur, les aidant au passage à déjouer les pièges, à sentir les musiques. Dans ces baraquements improvisés dans la cour et qui nous servaient de salles de classe, peu de lumière, pas de profil perdu d’arbre ensoleillé, mais des filles de bonnetiers, aux ongles douteux, la clé de la maison pendue au cou et qu’on perdait parfois aux heures de gymnastique. Des cahiers défraîchis mais toujours par-ci par-là, un regard qui se lève d’entre la misère et demande autre chose.
Alors je corrigeais à tour de bras des feuilles un peu cornées qui sentaient la cuisine.
Tard après la classe nous avions des conciliabules de pleurs, de repentir et de promesses. Je forçais un peu sur l’émotion. Nous lisions la mare au diable. Nous allions la mettre en scène. Oui, elles voulaient bien sacrifier le samedi après-midi.
La maman retrouverait le soir les courses à faire, la vaisselle : notre professeur de français faisait cours de théâtre. Puis on irait dans les bois. On serait la petite Marie, Germain, la jument grise dans le brouillard. C’était bien autre chose que la rue E. Zola grouillante de désœuvrés.

2 commentaires:

Brigetoun a dit…

je n'avais pas lu - ça va parraître étrange, mais quand je lis un de tes billets de cette veine je pars avec la "pècje" parceque j'aime les humains
Salut à toi

Anonyme a dit…

A 20 kilomètres de là, j'avais onze ans. Mon institeur s'appelait Monsieur Nöel. (je n'invente pas). J'avais les mêmes ongles noirs, pas de crasse d'industrie mais de terre et de suins de campagne. L'air seulement était pur.
On préparait la fête des écoles, cette anée là, j'y ai joué "Bob reçoit..."