23.11.07

CHAGRIN D'ECOLE

Rien écrit depuis ces 3, 4 jours derniers… tellement chargés
J’ai eu seulement envie de revenir à ce bouquin " Chagrin d'école" de Pennec, déjà présenté. Parce que, par un biais, il répond à bien des questions sociales qui nous agitent en ce moment.

Je l'ai à nouveau feuilleté, relu , cherchant un passage qui aurait pu donner un reflet du contenu pour qui ne l'aurait pas lu. Mais je n’ai pas trouvé. Rien vraiment rien à détacher du contexte, sans trahir le tout.

Si peut-être à la fin, un petit mot qui n'a l'air de rien
Voici un petit fragment de dialogue qui termine l’avant dernier chapitre
:
« ....le moyen d'enseigner....il y a une méthode?
- c'est pas ce qui manque, les méthodes, il n'y a même que ça, les méthodes! Vous passez votre temps à vous réfugier dans les méthodes, alors qu'au fond de vous, vous savez très bien que la méthode ne suffit pas. Il lui manque quelque chose.
-qu'est-ce qu'il lui manque?
- je ne peux pas le dire.
-pourquoi?- c'est un gros mot.
-pire qu'"empathie"
- sans comparaison. Un mot que tu ne peux absolument pas prononcer dans une école, un lycée, une fac, ou tout ce qui y ressemble.
-A savoir?
-non vraiment je ne peux pas..
- allez, vas-y!
-je ne peux pas, je te dis! si tu sors ce mot en parlant d'instruction, tu te fais lyncher
-...
-...
-...
- l'amour.


Et le livre se termine par un sorte de parabole : une hirondelle est entrée dans une pièce et s'est assommée contre un mur. « Une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer, point final. »

Ça peut paraître banal, un peu simplet, à première vue..
Quel métier peut-on faire honorablement sans l'aimer?
Cependant il ne s'agit pas ici d'aimer un métier mais d'aimer des enfants , non pas les siens, non pas quelques uns ...mais tous,non seulement les élèves que l'auteur appelle les « élèves friandises » qui réussissent si bien ou normalement, mais les autres aussi, les cancres, les teigneux, les petits voyous et cela voyez- vous, ça demande autre chose que la bonne méthode,que de la conscience professionnelle, ça demande de l'amour, de l’amour tout court.
Un amour si plein de bonheur mais si plein d’interrogation et d’angoisse aussi que seul celui qui l’a vécu peut en parler
Et Pennac en parle parce qu’il parle de ce qu’il a vécu. De l’intérieur.
Parce qu’il a senti, compris, qu’un remède possible aux problèmes de nos sociétés réside dans les forces cachées au fond du cœur des jeunes d’aujourd’hui pour peu qu’on leur tende la main. À tous et surtout à ceux qui sont laissés pour compte dès les bancs de l’école.
Mais où sont donc, aujourd’hui, les Pennac qui pourraient les sauver ! oh le grand mot !! Et Pennac n’aimerait pas; parce rien n’est jamais acquis…seulement en voie d’acquisition, une flèche dans le bon sens .
Les Pennac, disons les prof d’aujourd’hui on ne les aime plus, on ne les respecte plus, on ne les admire plus comme il n’y a plus d’autorité parentale etc.parce qu'il n'y a plus d’autorité tout court, de discipline, de sanctions, de morale et vite fait bien fait de religion pendant qu’on y est. (Mais elle revient et pour cause, la religion !)
J’ajoute parce qu’il n’y a plus d’amour, et de moins en moins de justice tout simplement .
Et que les profs sont seulement de pauvres types, socialement, les cancres des petits salauds, les parents des démissionnaires méprisables. Qu’il faut rétablir l’autorité. L’autorité de l’état d’abord en la personne d’un sauveur. Voilà . Point final.
Je dis que l’on se trompe .
Que ce sauveur, si plein d’amour comme il le proclame la main sur le cœur et de bonne foi peut-être, se trompe .Et que nous nous trompons en nous en remettant à lui pour faire advenir un peu plus de justice et d’équité . Il se trompe et nous trompe.
Comment comprendre qu’on puisse demander des sacrifices aux travailleurs de l’ombre et dans le même temps s’octroyer une augmentation de salaire substantielle ? Un point de détail sans doute mais qui suffirait à faire dresser l’oreille aux plus naïfs.
Comment comprendre qu’on aille en Chine
- prêcher pour la planète alors que la croissance en France consiste à dégager profits et capitaux pour fabriquer et vendre le plus possible, des avions supersoniques, des centrales nucléaires, et pour le petit peuple des gadgets inutiles ou dangereux, des marques super branchées de blouson ou de basket qui signent la supériorité sociale et alimente la violence des enfants dans les cours d’école. ?
-demander le respect de la propriété intellectuelle comme si la recherche, la création , l’invention était une marchandise qu’on garde pour soi à des fins de domination .
Que les chercheurs, les inventeurs, les artistes gagnent leur vie et bien leur vie et qu’ils soient protégés est une chose que leur génie soit récupéré par des multinationales en est une autre !
Et qu’on exporte notre culture de l’argent maître et seigneur de la planète est une bien dangereuse entreprise.

Mais pour un peu d’espoir
Voici un petit texte qui ne date pas d’hier mais qui pourrait être d’aujourd’hui et dont l’esprit habite encore des maîtres d’aujourd’hui, comme Pennac.

"
Maintenant, comment rendre compte de ce que j’ai vécu cette année là. Il y faudrait toutes sortes de superlatifs qui me répugnent. Dois-je dire le sommet de ma carrière, le cœur de mes illusions d’enseignante, le brasier d’un amour transposé ? Mes élèves, 70 à 80, je les voulais tous. Je les aimais tous. Ceux-là ils ne les auront pas, ces sagouins de l’enfance, de la pauvreté, des laissés pour compte et ce Brevet, qui m’avait tant humiliée, je l’aurai ou plutôt ils l’auront. Ils le veulent ce papier, ce passeport pour un autre avenir, ces doubles de moi-même, maladroits, honteux, teigneux, mais qui en veulent. Je régurgite toutes mes rancœurs. Je sais où sont les récifs, les blessures, les routes barrées...... Nous avons soudé nos regards, cousu nos certitudes et nos doutes, notre volonté de vivre et de vaincre. Effrontés ou sournois, doux ou peureux, ils finissaient par se donner en des silences magiques, des bras de fer loyaux, des amours clandestines. Je leur ai offert la voix au chapitre, la contestation, la dignité d’être des personnes, la fierté d’avoir un cœur troublé sous le sein naissant ou tremblant à travers la voix qui trébuche dans l’aigu.
Cela passait par des textes, des poèmes, ceux qu’on découvre mais aussi ceux qu’exhale naturellement l’adolescence.
Nous avons crée un journal. Il avait un titre un peu bête, mais pas tant que cela au fond sous son air de plagiat des vocables en usage. Cela s’appelait « Résistance écolière ». Merci aux parents qui nous aidèrent à le réaliser prenant en compte qui le papier, qui le ronéotype. Ils étaient contents aussi les parents.

Eh bien que dire ? Que nous n’avons eu qu’un seul malheur. Un seul élève n’a pas été reçu au Brevet : un des plus jeunes et des plus faibles que nous n’avions pas pu tirer jusqu’à la rive. Malgré cette ombre nous étions satisfaits. J’avais été responsable des 4/5 des épreuves puisque le sort avait voulu que ce soit les sciences naturelles qui soient tirées au sort.




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10 commentaires:

Rosie a dit…

Merci de nous partager ces textes.

J'ai déjà enseigné et je peux te dire que j'adorais mon métier et les enfants qui m'étaient confiés, j'essayais de les apprivoiser, les comprendre et être une personne significative dans leur vie.

Tes textes m'ont rappellé de si bons souvenirs.

J'ai transmis cet amour de l'enseignement à ma fille qui est aussi professeur.

Bon vendredi et bisous de ta p'tite cousine du Québec.

Brigetoun a dit…

comment peut on imaginer que quelqu'un va faire ce métier s'il n'y entre pas de l'amour ?
Le problème est que parfois cet amour peut être exigeant et frustré. Leur donner la possibilité de ne pas voir leurs élèves en gros, de pouvoir se consacrer un peu à chacun, les connaître.
DES CLASSES A TAILLE HUMAINE

vincent a dit…

salut micheline
tant que mon PC fonctionne je passe te faire un petit coucou et un gros bisous.
j'ai adoré ce bouquin et j'aime écouter, et lire bien sûr, son auteur. Sais tu (non je pense pas) que c'est une de mes amies (prof à la retraite) qui a corrigé le livre de PENNAC qu'elle connait bien? Elle aime tant son métier qu'elle continue à dispenser des cours de mise à niveau pour des élèves mis "hors courses" régulièrement. Presque tous les jours elle le reçoit chez elle, et pas question de la déranger. Elle n'est là pour personne. Et comme elle les attend "ses élèves", "son Anïs" et autres!!!!!!
J'aurais aimé être enseigné par cette femme là. Une perle. Je bois ses paroles.
Mais qui t'a dit qu'on n'aimait plus les profs? Bien sûr y a ces gosses qui tabassent "courageusement" une pauvre instit qui leur a mal parlé ou a voulu les mettre au plis. Malheureusement c'est pas prêt de finir.
Moi qui faisais partie des "Pénnac de ses débuts" et qui n'ai pas pu me rattraper aux branches,et, bien que je resente encore une baffe retentissante pour avoir discuté en entrant en classe, je ne garde aucune rancune envers les autres profs.
En lisant son bouquin, je me suis rendu compte que pour beaucoup d'entre eux ce doit être frustrant de ne pas pouvoir faire entrer qq chose dans la caboche d'un préado
imperméable.
Comme j'admire ces jeunes instits qui débutent leur carrière dans ces banlieues ZEP.
Bravo les instits, les Rosie et les Micheline!!!!

A très bientot.

Anonyme a dit…

Ben oui, les temps ont bien changé.
Ca aurait pu être en mieux... ça aurait dû !

vincent a dit…

salut aben!! que deviens tu?
l'autre jour j'a&i trouvé le lien du musée de l'ourse en peluche de lyon (http://oursement-votre.com/ il me semble avoir vu ton nom) par malheur le musée est fermé.
A plus aben.

micheline a dit…

Oui les temps ont bien changé , mais les hommes beaucoup moins.Les hommes avec leur nostalgie du bon vieux temps, certains profs qui invariablement se lamentaient en début d'année " le niveau baisse d'année en année .. c'est lamentable etc...plus de tenue plus de respect etc.." j'ai entendu ce couplet tout au long de ma carrière.
Est-il vain de rappeler ce qu'en disaitent déjà La Bruyère, Daudet?
Pour ne considérer que l' école, non ce n'était pas mieux avant. c'était différent .( voir Pennec p 244) dans une société différente, des milieux différents,avec des problèmes différents, mais toujours à la recherche d'une réadaptation difficile , pour un peu plus d'égalité et de justice.

Rosie a dit…

Juste un p'tit bonjour en passant.

Bon samedi et bisous de ta p'tite cousine du Québec.

P.S: J'ai posté un Vendredi de l'Humour.

Gelzy a dit…

hola micheline toujours aux avants-postes ! j'aime bien ton indéracinable ferveur enseignante. J'ai voulu acheté le Pennac à la petite ville Hier . Il n'y en avait plus. Plutôt bon signe! Quant à l'amour ( ah l'amour ! ses facettes, ses contradictions ... )? " vous n'avez pas à les aimer" nous disait notre dragon de dirlo d'EN. Ce que je me suis bien gardé de faire mélangeant allègrement mes besoins d'aimer aux nécessités vives. De ma tournée récente avec des enfants en présence de leurs instit j'ai gardé un optimisme, durable j'espère, en la force de "l'amour -pas toujours et pas-obligatoire" et de la justesse de l'esprit

micheline a dit…

à tous,
merci de votre présence, ma journée a été trop courte pour vous le dire mieux mais à +++

Rosie a dit…

Juste un p'tit bonjour en passant.

Bon dimanche et bisous de ta p'tite cousine du Québec.